Les véganes devraient-ils soutenir le burger végane de McDonald’s ?

Je me rappelle, il y a plus de quinze ans, avoir demandé aux végétariens et aux véganes ce qu’ils feraient si jamais McDonald’s créait un burger végane. Imaginez qu’en plus, ai-je dit, ils le testent quelque part et que le succès de ce test détermine s’il allait être commercialisé partout.

Parfois, les expériences de pensées (j’ai toujours aimé ça) deviennent réelles. Cette semaine, McDonald’s a sorti un burger végane à Tampere, en Finlande. Le succès qu’il aura jusqu’au mois de novembre pourrait influencer ce qui va arriver dans des milliers d’autres McDonald’s dans le monde.

Les véganes, comme souvent, sont assez divisés dans leurs réactions. Beaucoup applaudissent cette initiative, tandis que beaucoup d’autres affirment qu’ils ne mangeront jamais au grand jamais quoi que ce soit chez McDonald’s, parce qu’un burger végane ne peut pas effacer les nombreux aspects problématiques de cette entreprise.

Je vois passer beaucoup d’opinions venant des tripes, peu réfléchies à ce sujet. Permettez-moi donc de vous présenter quelques-unes de mes pensées à ce propos.

mcvegan

Qu’est-ce qui ne va pas avec McDonald’s ?
McDonald’s a été et, sur bien des aspects, reste une entreprise problématique. À vrai dire, aux yeux de nombreuses personnes (du moins les militants et les gens à gauche politiquement de manière générale), McDonald’s est plus ou moins le prototype d’une Mauvaise Entreprise. Quand je tape « what’s wrong with » (qu’est-ce qui ne va pas avec) dans Google, la première suggestion que je vois, c’est… McDonald’s. Le pamphlet de 1986 What’s Wrong With McDonald’s – et le procès « McLibel » lancé par la corporation contre Helen Steel et Dave Morris – a probablement quelque chose à voir avec ça. Le pamphlet parlait de la condition animale, des droits des travailleurs, de la déforestation, de la manipulation des enfants par les jouets, etc. Et pour beaucoup de gens, même si tous ces problèmes étaient résolus, McDonald’s serait simplement une entreprise toujours trop grosse, trop capitaliste, trop uniforme et trop de beaucoup d’autres choses pour qu’on la soutienne.

Je n’ai pas le temps de faire des recherches approfondies pour vérifier ce que fait McDonald’s aujourd’hui par rapport à toutes ces différentes dimensions sociales, mais étudions juste brièvement l’un de ces aspects : est-ce que McDonald’s est vraiment pire dans le domaine du bien-être animal que les autres entreprises similaires ? Selon Paul Shapiro, le Vice-Président de l’engagement politique au sein de l’organisation Humane Society of the US, l’annonce de l’entreprise en 2012 selon laquelle la branche américaine exigerait de ses fournisseurs qu’ils cessent de recourir aux cages de gestation et son annonce similaire datant de 2015 concernant l’élevage en batterie ont toutes deux provoqué une avalanche d’autres revendeurs majeurs faisant de même ou mieux. Concrètement, affirme Shapiro, les annonces de l’entreprise ont aidé à mettre en évidence le fait que ces pratiques de confinement en cages n’auront plus leur place dans le futur. Bien sûr, ce ne sont que de « simples » réformes welfaristes, mais elles représentent un début, et elles signifient des différences tangibles pour littéralement des milliards d’animaux.

Je pense que beaucoup de la haine qu’inspire McDonald’s n’est pas toujours complètement rationnelle, et qu’elle est en partie due au fait que McDo est devenu le symbole de tout ce qui ne va pas avec le capitalisme actuel. Mais disons, aux fins de la discussion, qu’on accepte juste que le géant du fast food soit quand même une entreprise très mauvaise – en effet elle achète, cuisine et sert un nombre gargantuesque d’animaux. Qu’est-ce que cela signifie concernant la relation des véganes et du mouvement végane avec le burger végane ?

Les opposants
J’ai vu beaucoup de personnes affirmant sur les réseaux sociaux qu’elles ne soutiendraient jamais McDonald’s. Elles refusent de dépenser leur argent chez une telle entreprise et, du coup (de leur point de vue), de contribuer à tout le mal qu’elle fait. Une réponse souvent entendue à ce genre d’argument est que ces mêmes personnes dépensent probablement pas mal d’argent auprès d’autres entreprises (comme par exemple des supermarchés), qui vendent également des morceaux d’animaux et peuvent aussi causer d’autres types de dégâts. Encore une fois, traiter de façon différente McDonald’s (et d’autres grandes chaînes de restauration rapide) ne me semble pas être une attitude rationnelle, mais pourrait avoir beaucoup à voir avec la fonction symbolique qu’a McDonald’s.

Parfois, il me semble que cela fait partie de la nature humaine de vouloir ou d’avoir besoin d’ennemis : beaucoup d’entre nous aiment juste détester certaines personnes ou entreprises. C’est pour cette raison que certains d’entre nous n’aiment pas forcément que l’ennemi s’améliore. Les gens ne veulent pas perdre leur ennemi et semblent avoir besoin d’un exutoire pour une certaine dose de haine ou de colère. Une indication de ceci est qu’il n’y a rien que l’ennemi puisse faire pour obtenir le soutien des opposants (les gens peuvent, par exemple, ne pas soutenir McDonald’s même si c’était 100% végane et écolo et… ). Parmi les opposants du McVegan, certains ont demandé si la moutarde, la sauce, les pains seraient véganes et si le « steak » serait frit sur le même grill que les steaks de bœuf – et ils semblaient être à la recherche de n’importe quelle excuse pour ne pas apporter leur soutien. D’autres disent que c’est juste de la merde.
Toute action positive entreprise sera considérée comme insignifiante, ou comme étant du greenwashing, ou vide, ou que sais-je. L’idée que cette entreprise est le Mal jusqu’à sa racine devient en quelque sorte immuable.

Certaines personnes dans le camp du Non considèrent l’enthousiasme du camp du Oui comme une sorte d’attitude « veganism über alles ». Ils voient les partisans du McVegan comme des gens qui applaudissent tout ce qui fait avancer la cause végane ou la cause animale, même si c’est au détriment d’autre chose. Il y a certainement des véganes qui sont très étroitement concentrés sur les animaux uniquement et ne se soucient pas de la convergence des problèmes de justice sociale. Mais je ne pense pas que ce soit nécessairement le cas de tous ceux qui disent oui au McVegan. Ces personnes souhaitent peut-être simplement encourager chaque pas en avant significatif, car ils se rendent compte que tout ne sera pas fait en une seule fois. Si McDonald’s prend des mesures significatives dans d’autres domaines, celles-ci pourraient également être applaudies, même si l’entreprise est toujours responsable d’énormément de souffrance animale.

Plaidoirie en faveur du McVegan
J’ai déjà écrit auparavant sur le fait que les grandes entreprises ont le pouvoir de faire de bonnes choses (voir Beyond Meat and Tyson: sleeping with the enemy? et Why vegans shouldn’t boycot Daiya cheese). Il est facile de voir quels sont les avantages de l’existence d’un burger végane chez McDo. Une telle offre aiderait énormément à normaliser et diffuser la nourriture végane et abaisserait le seuil de difficulté afin qu’un grand nombre de personnes y goûtent (le burger doit être savoureux, bien sûr – mais d’après ce que je lis, il l’est). Les entreprises qui voient un intérêt dans la vente de produits alimentaires végétaux commenceront également à devenir moins opposées à la croissance du phénomène végane.

Mais ce qui est le plus important, c’est que les grandes entreprises ont le pouvoir, les ressources, les contacts et les réseaux pour que ces produits se retrouvent partout. Je reviens juste de la conférence Extinction and Livestock à Londres, organisée par Compassion in World Farming et le WWF. Pendant l’un des débats, Josh Balk, Vice-Président de la division des animaux de ferme de l’organisation The Humane Society of the United States, nous a rappelé l’époque où le lait de soja ne pouvait être trouvé que dans un coin obscur de l’épicerie bio locale. Qu’est-ce qui s’est passé, a demandé Josh, pour que les laits végétaux passent de ce coin aux rayons de tous les principaux supermarchés des États-Unis ? Sa réponse : Dean Foods. La plus grande entreprise de produits laitiers des États-Unis a vu une opportunité et s’est mise aux laits végétaux. Il pourrait y avoir d’autres facteurs expliquant la popularité grandissante de ces produits, mais Big Dairy a clairement joué un grand rôle là-dedans.
Dean Foods a été une source d’inspiration pour que d’autres entreprises fassent comme elle et investissent dans les alternatives aux produits laitiers. De la même manière, McDonald’s, en cas de succès, pourrait inspirer d’autres chaînes (et peut-être que le géant du fast food a eu l’idée de commencer en Finlande en raison du succès de la chaîne Hesburger, qui propose un burger végane).

Les véganes peuvent-ils faire une différence ?
Si nous pensons qu’un burger végane chez McDonald’s est une bonne idée, nous pouvons participer activement en achetant ou en recommandant ce burger. Ou bien, nous pouvons simplement le soutenir en silence et laisser d’autres personnes l’acheter. Mais que se passerait-il si le mouvement végane (en Finlande ou internationalement) était réellement en mesure d’influer sur l’issue de cette expérience ? Le fait que ce burger s’appelle McVegan semble impliquer que les gens de McDonald’s ont au moins dans une certaine mesure la cible des véganes à l’esprit.
Supposez que, comme les articles de presse semblent l’indiquer, le succès de l’expérience finlandaise puisse influencer ou déterminer si et dans quelle mesure ce burger sortira dans d’autres pays. Pensez au nombre massif d’animaux à qui on épargnerait une vie de souffrance. Je suis sûr de moi quand je dis que, en supposant tout ça, je dépenserais volontiers mon argent là-dedans et je demanderais aux autres de faire de même. En outre, si j’étais le directeur d’une organisation finlandaise, je recommanderais même probablement à tous les véganes d’y aller (même si je prendrais en compte le potentiel retour de bâton des véganes moins pragmatiques).

Il est important de réaliser que McDonald’s essayé de lancer un burger végane ou végétarien plusieurs fois dans différents pays, mais n’a jamais vraiment réussi nulle part (sauf en Inde). Imaginez que le burger végane américain de McDonald’s lancé en Californie et dans la ville de New York en 2003 ait eu du succès, et ait été commercialisé aux niveaux national et international, et ait inspiré d’autres entreprises… Il est difficile de dire si le mouvement végane aurait pu jouer un rôle important dans cela, mais ce n’est pas impensable. (De façon intéressante, la personne qui a supervisé le déploiement dans le Sud de la Californie du burger McVeggie, Don Thompson, est ensuite devenu le PDG de McDonald’s, mais a quitté l’entreprise depuis et fait maintenant partie du conseil d’administration de Beyond Meat.)

Les mauvaises intentions sont assez bonnes
Comme c’est souvent – et souvent à raison – le cas, notre façon de juger une action est en partie inspirée par notre façon de voir les intentions ou les motivations des personnes derrière l’action. Il est totalement raisonnable de supposer que la motivation derrière la commercialisation du McVegan est financière. De nombreux commentaires Facebook parlent exactement de cela : McDonald’s ne fait ça que pour l’argent ; ce ne sont que des salauds qui veulent nous soutirer de l’argent, etc., etc. Vouloir faire du profit est, bien sûr, entièrement normal pour une entreprise. Pourtant, beaucoup d’entre nous n’aiment pas cette motivation, tandis que nous aimons les motivations éthiques. Faites une petite expérience : imaginez que la PDG de McDonald’s Finlande est végane et qu’elle a sorti ce burger parce qu’elle veut faire quelque chose de bien pour les animaux. Il y a de grandes chances pour que vos opinions à propos de tout ça changent.
La question, pourtant, est à quel point ces intentions sont-elles importantes ? Il est certain que les animaux s’en fichent. Tout comme Saul Alinsky, un militant pour la justice sociale, je pense que nous devons permettre aux personnes de faire une bonne chose pour de mauvaises raisons. Alinsky écrit dans Être radical :

“Avec de très rare exceptions, les bonnes choses sont faites pour de mauvaises raisons. Il est futile d’exiger que les gens fassent une bonne chose pour la bonne raison – ce serait comme de combattre un moulin à vent. L’organisateur doit savoir et accepter que la bonne raison ne vient que comme une rationalisation morale une fois que la bonne conséquence a été obtenue pour la mauvaise raison – c’est pourquoi il doit rechercher et utiliser les mauvaises raisons pour atteindre les bons objectifs.”

J’ai été PDG de McDonald’s pendant une journée
Il y a peut-être vingt ans, au tout début de mon militantisme, j’ai organisé une manifestation dans un tout nouveau McDonald’s dans notre ville (Gand, en Belgique). Nous étions un groupe de personnes là-bas, avec les panneaux, slogans et tracts de rigueur, et un ou deux journaux ont couvert l’événement. Environ quinze ans plus tard, quand j’étais directeur d’EVA, l’organisation que j’ai co-fondée, j’ai fait ce qui s’appelait un “échange de job” avec le PDG de McDonald’s Belgique (c’était une initiative d’une organisation de développement durable dont nous étions tous les deux membres). Tandis que je faisais une présentation et que j’apprenais à connaître certaines personnes, pratiques et procédures de l’équipe de McDonald’s Belgique, ma propre équipe recevait et informait leur PDG et lui présentait les meilleures alternatives à la viande disponibles. La journée s’est terminée avec une rencontre entre moi et le PDG – qui ne nous étions pas vus de la journée – qui s’est déroulée… précisément au McDonald’s où j’avais organisé la manifestation plusieurs années auparavant…
La manifestation était un exemple de confrontation, tandis que l’échange de job était une forme de collaboration, ou au moins, quelque chose qui pouvait mener à cela. Aujourd’hui, ces deux formes d’actions sont toujours valables et nécessaires, mais personnellement je crois plus en la collaboration qu’en la confrontation.

Pas de destruction, pas de révolution, mais un changement graduel
McDonald’s ne va pas juste disparaître. Et cette entreprise ne va pas soudainement devenir une entreprise végane. La seule chose qui peut se produire est une amélioration progressive. Je respecte les véganes qui ne veulent rien avoir à faire avec cette amélioration et qui veulent rester le plus loin possible de certaines entreprises (les arguments rationnels sont utiles). Je ne dis pas que les boycotts ne sont jamais utiles ou couronnés de succès. Et je peux évidemment voir l’intérêt de soutenir des entreprises véganes autant que possible. Mais je pense que cette seule action ne suffira pas, et je pense que, pour les animaux, le soutien de grandes entreprises, bien intentionnées ou non, n’est pas juste un luxe. Qu’on le veuille ou non, c’est une nécessité.

Et juste au cas où quelqu’un de chez McDonald’s lirait : merci pour ce test ET oui, nous voulons que vous en fassiez plus.

Que la Force soit avec le burger végane.


Ce billet est une traduction de l’article original de Tobias Leenaert Should vegans support the McDonald’s vegan burger? publié sur son blog The Vegan Strategist le 8 octobre 2017, avec son aimable autorisation.

Le débat est tout aussi valable pour le burger végétarien actuellement à l’essai en France.

7 commentaires

  1. Très bonne analyse. Je partage totalement ton avis. Selon moi, il faut encourager ce genre d’initiatives même lorsqu’elles sont mises en place par des groupes ou des entreprises qui ne nous conviennent pas au départ.

    Bises,
    Marion

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    • Merci ! Je pense qu’il est primordial de pousser la pensée un peu plus loin que le rejet qu’on peut parfois éprouver face à quelque chose qui ne nous satisfait pas pleinement. Sans ça on avance pas, on ne fait que se draper dans de beaux idéaux et pendant ce temps, les victimes continuent à souffrir.
      Et ça, Tobias Leenaert fait partie des personnes qui l’ont très bien compris et qui l’expliquent régulièrement sur tous les médias possibles.
      Je ne peux que relayer son analyse, que je partage entièrement.

      Bises

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  2. C’est une amie « amoureuse des animaux » (qui mange de la viande, vive la dissonance cognitive) qui m’a appelée, outrée, pour m’annoncer que Mc Do commercialisait un burger végétarien en France. Elle croyait avoir tout mon soutien. Je lui ai dit que je trouvais formidable qu’une entreprise comme Mc Do commercialise un burger végétarien parce que c’est une énorme publicité pour le végétarisme et que tant mieux s’ils surfent sur la mode parce qu’au final ça veut dire moins d’animaux morts et que mon but à moi c’est ça, tout simplement. Elle m’a dit « Ah…j’avais pas vu ça comme ça… ». Après j’ai lu que ce burger était moins healthy qu’un Big Mac etc Tu as raison à 100% : il s’agit de Mc Do le symbole du capitalisme et on ne veut pas voir le côté positif de la chose alors qu’il est évident. Bien sûr que dans l’idée je suis profondément abolitionniste mais c’est avec de telles mesures welfaristes que le plus grand nombre de personnes à travers le monde prendra conscience de la souffrance animale. J’en suis convaincue. Et si demain Mc Do commercialise un Mc Vegan, je serais la première à le goûter !

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  3. Un de mes amis m’a dit : « Je vois pas pourquoi il n’y auraient que les omnivores qui pourraient manger de la « malbouffe » ! »(le même qui m’avait dit à propos du mariage pour tous qu’il ne voyait pas pourquoi seuls les hétéros pouvaient faire la plus grosse bêtise de leur vie !). Je trouve ça très juste. Je crois que notre société commence à changer et je trouve ça bien.

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    • En effet ! :p
      En l’occurrence, même si tous le monde sait qu’il faut pas abuser du trop gras/trop salé/trop je-ne-sais-quoi… on peut être végé sans vouloir toujours manger sain (pardon on dit « healthy » maintenant lol). Ce sont deux sujets différents. Et tous les styles de vies, tous les goûts devraient avoir des options végés disponibles. Dans l’intérêt des animaux encore plus que dans le nôtre.

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  4. Personnellement je pense qu’il faut encourager ce type d’initiative. Les entreprises « bonnes » ou « mauvaises » sont là pour refléter les « avancées » et « exigences » de notre société ». Je vais une fois au Mac Do par an. De retour de vacances, sur le chemin du retour, je ne sais jamais quoi manger lorsqu’on s’arrête au Mac Do. Enfin j’aurais quelque chose à me mettre dans le ventre! J’espère que d’autres enseignes suivront!

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