Non je n’exagère pas

Non, Papa, Maman, je n’exagère pas.
Non, je ne suis pas une fainéante.
Je ne suis pas jalouse de mon frère non plus (il est à peu près tout ce que je ne voudrais pas être d’ailleurs) !

Non, je n’ai pas voulu faire éclater la famille ni « foutre la merde », comme on dit si élégamment, en osant reparler 5 minutes d’un truc qui me pourrit la vie depuis l’enfance. Mais vous m’avez bien punie pour l’avoir fait.

Vous savez quoi  ? Ca fait 20 ans que je retourne ça dans ma tête et qu’en fin de compte, j’en arrive à la même conclusion : c’est pas de ma faute, c’est de la vôtre.

Vous, qui avez choisi de faire une différence de traitement entre vos deux enfants. Parce que l’un était un garçon et l’autre une fille. Donc pour ce qu’ils étaient. Quelque chose sur laquelle on a aucune emprise.
Vous, qui avez tenté de m’inculquer dès que possible que les filles doivent se soumettre, que les femmes doivent servir les hommes. Qu’au cours de l’année ou en vacances, je devais faire la vaisselle ou passer la serpillière sous les yeux de mon frère se prélassant dans le canapé. Que pendant qu’il avait le droit d’écouter l’histoire de nos grands-parents siciliens arrivant en France, moi je devais aller nettoyer quelque chose dans la cuisine (il n’ont jamais re-raconté tout ça…).

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©Mana Neyestani

Vous savez quoi ? Je savais que, malgré mon effort pour mettre un voile sur cette grave erreur (la seule je dois l’admettre) et pour faire semblant de ne voir dans cette famille que les bons côtés depuis la fin de mon adolescence, le sujet redeviendrait un jour explosif.
Parce que maintenant j’ai des enfants. Et qu’il est hors de question qu’ils entendent et supportent tout ce bullshit sexiste eux aussi.

Mais avant même que vous n’alliez trop loin avec ma fille (ou mon fils qui vient de naître), un simple hasard lors d’une conversation a fait que toi, mon père, tu n’as pas pu t’empêcher de cracher ta haine des féministes et de me redire que les femmes violées n’ont qu’à pas s’habiller « comme ça » et que c’est pas aux hommes de s’acquitter des tâches ménagères et … que, de toutes façons, tu t’en fous des problèmes des femmes !
Si seulement tu n’avais dit que ça (mais je vais passer les détails sinon c’est un livre que je vais écrire) !
En plus de ta misogynie généralisée, tu m’as encore jeté à la figure ton plus grand mépris lorsque j’ai évoqué l’éducation sexiste que tu m’avais infligée.

Là où ma mère, pourtant façonnée par l’effacement et le sexisme intériorisé, m’a sincèrement écoutée, s’est remise en question et a même exprimé des regrets de ne s’être pas rendue compte des conséquences de son soutien à mon père il y a des années de cela, toi, mon père, tu as préféré réagir avec ta fierté mal placée et ton égoïsme machiste. Grosse engueulade, injures de ta part devant toute la famille (y compris ma fille), mon frère qui intervient en bon « mâle dominant » pour appuyer le patriarche et me reprocher de moins faire de ménage que son épouse (euh… what?!) et qui menace même de s’en prendre physiquement à mon mari (qui est considéré comme l’idiot de service vu qu’il n’essaie pas de me soumettre). N’en jetez plus !

C’était au mois de mars 2015 (en plein milieu de ma grossesse, yeah!), on est en décembre. On ne s’est pas beaucoup revus depuis, et quand c’était le cas, c’est ma mère que je venais voir.
Depuis, tu es resté borné et tu as juste dit qu’étant donné que c’est toi le plus âgé, c’est pas toi qui vas t’ « écraser ! ». Hum, drôle de vision des relations. Peu importe qui a raison ou tort, si on est plus jeune on la ferme, on s’écrase, on accepte tout (âgisme, âgisme…).
Tu parles de respect, mais tu n’en inspires aucun en agissant ainsi. Le respect, ça se mérite. Et ma conception des relations humaines, ce n’est pas la domination des uns sur les autres.

D’accord, c’est pas facile d’entendre son enfant critiquer l’éducation qu’il a reçu, l’enfance qu’il a vécu.
C’est pas facile de remettre en cause les principes en lesquels on croit et qu’on a appliqué tant d’années.
C’est pas facile non plus de devoir faire du coup la critique des choix éducatifs de nos propres parents (et là c’était clairement une reproduction de la mentalité sexiste qui fait pourrir cette famille de l’intérieur depuis des générations).

Pour autant, quand ton enfant, devenue adulte, te fait part de quelque chose qui l’a profondément blessée et qu’elle a gardé en elle tout ce temps, tu pourrais daigner l’écouter plutôt que de minimiser son ressenti, plutôt que de la rabaisser.
Il me semble qu’il n’est pas si difficile de comprendre qu’un-e enfant qui ressent une différence de traitement, ainsi qu’un dénigrement permanent (des femmes dans mon cas), vivra sa situation comme une injustice, un rejet, une humiliation.

C’est pas compliqué, il y a deux choses dont j’ai du mal à parler sans avoir les larmes aux yeux : 1/ la menace de mort par mon ex ; 2/ les humiliations sexistes par mes propres parents.

Mais bon, je sais, tu t’en fous des problèmes des femmes de toutes façons. Tout ce qui compte, c’est de conserver tes privilèges, hein.

Bref, Joyeux Noël.
Sans moi cette année.

17 commentaires

  1. Waaaahhh….. Je sais pas quel âge tu as mais on doit bien être de la même génération, et ça me choque de voir qu’on ai pu faire encore pour des femmes de nos âges, de telles différences pendant l’enfance. Ma mère a vécu ce genre de situation, mais voilà quoi, ma mère, une génération au dessus. C’est d’ailleurs son refus de la différence faite entre les hommes et les femmes qui ont fait de ma sœur et moi des femmes très indépendantes. Et oui, nos compagnons font des tâches ménagères, et alors ? Ils vivent pas dans la même maison que nous ? C’est pas ça, l’égalité ? Le vivre ensemble au quotidien ?
    Ca m’attriste de voir de voir que ton père de prend même pas de recul par rapport à tout ça.

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    • J’ai 33 ans. Et j’ai bien peur que mes 3 nièces aient une piètre estime d’elles-mêmes et peu d’ambitions avec un père comme mon frère (« c’est pas pour les gonzesses, ça ! »)… -_-
      Comme quoi, même si ça avance, ça n’avance pas assez vite et certaines personnes sont vraiment restées au niveau d’il y a plus de 50 ans.
      Enfin voilà, j’ai toujours entendu ma grand-mère dire que « les femmes sont inférieures », « les femmes qui travaillent c’est des putes », etc. Génial pour se construire.
      Je me suis sentie légèrement seule à l’adolescence, à me prendre tout ça dans la tronche, d’autant plus que je me laissais pas faire. Heureusement que je peux ne plus m’infliger leur compagnie maintenant !

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  2. Je t’envoie plein de soutien. Je n’avais pas de frère, mais cela n’a pas empêché l’éducation sexiste.
    Cela dit, j’en veux moins à mes parents qu’aux hommes de mon âge qui voudraient reproduire ce système et qui sont si étonnés que « non, merci, je préfère vivre seule » (et en moi-même « oui, je sais, ce serait pratique qu’on vive ensemble et que j’assume la moitié du ménage et de l’éducation de tes enfants quand ils sont chez toi »).
    Tout mon soutien à toi donc. Si tu as l’occasion de voir ta maman sans voir les deux « mâles » de la famille, n’hésite pas.

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    • Merci !
      Haha, moi je comprends tout à fait qu’on préfère vivre seule. Les mecs qui considèrent leurs compagne à égalité, je crois qu’ils sont bien rares, encore de nos jours. Ceux qui ne voient plus l’intérêt du féminisme à l’heure actuelle sont vraiment à côté de la plaque décidément (et sur plein de sujets).
      J’avais proposé à ma mère de se voir juste nous 2 (avec mes enfants) et elle était d’accord (même si elle s’est toujours pliée à tout pour faire plaisir à sa belle-famille et ensuite se faire encore cracher dessus, personne ne l’empêcherait de voir sa fille). Le souci c’est que j’habite à une heure de route et qu’elle est dépendante pour la voiture (à force de laisser m. mon père conduire, elle a peur maintenant). Donc pas évident qu’elle vienne et se voir dans sa ville en évitant mon père, c’est pas toujours simple. Du coup, je me suis un peu résignée à ce qu’il soit presque toujours là.

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  3. Fille de 35 ans, qui a une soeur de 38, éduquées toutes les deux par une mère plutôt soumise et un père très très macho… En couple avec un homme formidable qui en fait presque autant que moi à la maison (presque car je travaille à 50% et lui à 80%). Mon père ne comprend pas du tout que mon ami en fasse autant… mais mes parents ont divorcé, car ma mère n’en pouvait plus…

    Je suis l’heureuse maman d’une fille (4 ans) et d’un garçon (18 mois), que nous élevons dans le respect de l’autre et l’égalité…

    Je comprends ta colère, ta douleur. Mes larmes à moi, c’est quand je subis les propos sexistes de mon père (la prostitution est le plus vieux métier du monde, etc) : pas facile de se rendre compte que nos parents puissent être aussi rétrogrades sur certains points (alors qu’hyper diplômés tous les deux, comme quoi, ça n’empêche pas…)
    Bon Noël à toi, dans la douceur et dans la lumière, avec ta jolie famille !

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  4. à Noel j’offre « pour une enfance heureuse » à ma mère, comme ça, pour voir ….
    je suis désolée de lire tout ça et j’espère sincèrement que les gens changeront, tu peux être fière d’avoir gardé ton esprit critique, et tu as raison d’en avoir parlé, tu as fait ce que tu pouvais, c’est triste que ton père ne vois pas … mais bon 😦
    gros bisous !!!

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