Faut-il manger les animaux ?

Je viens de finir la lecture du livre de Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ? (Eating animals en VO), traduit par Gilles Berton et Raymond Clarinard.

Jonathan Safran Foer est un romancier dont le talent est reconnu et cet essai lui a valu encore bien des louanges sur la forme. Cependant c’est le fond qui m’intéresse…

Cet ouvrage est le résultat d’une enquête auprès d’éleveurs, d’ouvriers de sites d’abattage, de militants… qui aura duré 3 ans. L’auteur dépeint la situation actuelle et réelle de l’élevage industriel et de notre consommation d’animaux, tout en y mélant des questionnements, des souvenirs d’enfance… Ce livre n’est pas un plaidoyer pour le végétarisme mais un point de départ pour la réflexion.

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Difficile de résumer cet essai de 330 pages, mais je vais essayer de me limiter pour vous donner un aperçu du contenu très dense de ce livre en gardant la trame des chapitres.

HISTOIRES
Le premier chapitre s’ouvre sur des souvenirs de famille, qui seront repris plus loin comme fil rouge. L’auteur parle avec humilité de son parcours entre périodes d’omnivorisme, de végétarisme, de flexitarisme.

TOUT OU RIEN, OU QUELQUE CHOSE D’AUTRE
On y découvre la réalité de l’élevage industriel et le nombre astronomique de 450 milliards d’animaux terrestres élevés industriellement chaque année.
Il n’existe pas de statistiques sur les animaux aquatiques, mais on sait que l’aquaculture et la pêche industrielle sont tout aussi massifs et critiquables.
Les éleveurs ne suivent plus le rythme de la Nature, ils veulent dominer la Nature, ils sont en guerre… et la recherche du profit prime sur tout le reste.

« Ce que nous oublions au sujet des animaux, nous commençons par l’oublier à propos de nous-mêmes. » p53

Les similitudes (biologiques, émotionnelles) entre humains et animaux sont niées. Nous refoulons ainsi également tout ce qui nous semble « trop animal » en nous, comme si cela nous faisait perdre de la valeur. C’est pourtant en niant une part de nous-même que nous nous amputons et que nous n’arrivons plus bien à nous définir ni à nous apprécier.

« Ne rien faire, c’est encore faire quelque chose » p54

Jonathan Safran Foer nous rappelle aussi que la neutralité n’existe pas vraiment. On choisit forcément d’agir ou bien de détourner le regard.

MOTS / SIGNIFICATIONS
Cette partie est un glossaire qui dépeint des concepts tels que les Downers, l’écologie, les aliments d’inconfort…
L’auteur nous explique par exemple comment l’instinct est opposé à l’intelligence : pour ne pas avouer qu’un comportement animal est dû à l’intelligence ou parce que nous ne le comprenons pas, nous appelons ça de l’instinct. Les études nous indiquent pourtant de plus en plus que les animaux, quelle que soit l’espèce, ont une intelligence bien supérieure à ce que l’on a longtemps cru.
L’entrée « Radical » évoque le fait que 96% des américains sont pour une protection légale des animaux. Une très grande majorité des gens trouvent les questions relatives au bien-être des animaux et à l’environnement importantes mais presque personne n’agit en conséquence. Et les quelques personnes qui le font sont perçues comme des extrémistes…

CACHER / CHERCHER
Jonathan Safran Foer a participé à une expédition nocturne dans une « Factory farm » (ferme industrielle) avec une militante. Il nous raconte cette expérience.
Son premier choc vient du fait que les portes des hangars sont verrouillés…

« Les barons de l’élevage industriel savent que leur modèle d’activité repose sur l’impossibilité pour les consommateurs de voir (ou d’apprendre) ce qu’ils font. » p112

Nous ne devons rien savoir pour que cette industrie existe. Elle perdure grâce au secret.

Jonathan Safran Foer est très surpris par ce qu’il découvre une fois qu’il arrive à s’introduire dans un hangar. Puisque les animaux sont utilisés comme des machines, il devient difficile de les voir autrement. Ils ressemblent à des « rouages » de la machine.
Aux premiers regards, les volailles ont l’air ok bien qu’entassées. Mais en regardant de plus près, il voit les mutilations, les signes de mauvaise santé et les nombreux cadavres qui jonchent le sol.

egg_dscn0046Image : Farm Sanctuary

L’auteur donne ensuite la parole à la militante qui l’accompagne. Elle a travaillé auparavant dans un abattoir comme « backup killer  » (tueuse d’appoint) pour pouvoir dénoncer. Elle explique qu’il faut perdre la notion de tout : acte, lieu, victimes, nombre de tués… pour ne pas devenir fou. C’est un mécanisme de survie.

« […] maintenir ces animaux aussi près de la mort que possible sans les tuer. »

C’est le but des éleveurs industriels. La recherche de profit se fait en mettant les animaux dans des conditions extrêmes, mais tout est calculé pour maîtriser leur vie.

S’ensuit un témoignage-type d’éleveur industriel (réalisé à partir de témoignages de plusieurs éleveurs).
Cet éleveur-type nous explique que l’on est passé du modèle de la petite ferme familiale à celui de l’immense exploitation, seule chance de survie.
Il défend ce nouveau système et accuse le consommateur qui veut du bas prix. Il ne croit pas à l’élevage welfariste, ni au végétarisme et nous rappelle enfin la « cruauté » de la Nature.

Jonathan Safran Foer laisse donc la parole aux différentes parties prenantes et la possibilité au lecteur de se forger sa propre opinion.

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Nous avons ensuite un rappel des origines de la poule en tant qu’espèce, puis de l’humain et enfin de la domestication.
Le mythe du consentement animal est alors évoqué : il s’agit de la croyance selon laquelle les animaux auraient donné leur consentement pour être domestiqués, servir les humains et éventuellement être mangés par eux en échange d’une vie plus facile avec nourriture, abris,soins… Jonathan Safran Foer n’y adhère pas du tout et fait ressortir tout le malaise et l’hypocrisie dans la bouche des personnes qui évoquent ce mythe.

Abattoirs de Chicago début XX° s

Abattoirs de Chicago

Il existait autrefois une éthique du « manger responsable » qui a été « brusquement tuée » avec le début du travail à la chaîne dans les abattoirs de Chicago à la fin des années 20.
L’invention du wagon frigorifique a permis de transporter la viande sur de longues distances (le trajet moyen de la viande aujourd’hui aux États-Unis est de 2300km !). Plus tard est née « l’idée de traiter les animaux vivants comme des animaux morts ». C’est ainsi qu’est né l’élevage industriel, entre innovations techniques et absence d’éthique.
Grâce à la mise au point de produits de supplémentation en vitamines et d’autres innovations (ventilation, incubateurs, mangeoires automatiques…), il est devenu possible de gérer plus de bêtes, dans des conditions moins bonnes.
Les mutilations et l’administration d’antibiotiques se sont généralisées.

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Dans les années 40, l’eugénisme est valorisé. Les années 50 verront la prédominance de seulement 2 races de poules, une pour chaque « utilisation » : d’un côté les poulets de chair, de l’autre les poules pondeuses.

« Entre 1935 et 1995, le poids moyen des poulets de chair a augmenté de 65%, tandis que la durée de leur croissance maximale chutait de 60% et leurs besoins en nourriture de 57%. Pour se faire une idée du caractère radical de ce changement, il faut imaginer des enfants atteignant 150kg à l’âge de 10 ans tout en ne mangeant que des barres de céréales et des gélules de compléments vitaminés. » p136

Les animaux ne peuvent plus être en bonne santé, ni même simplement survivre tous seuls dans ces conditions.
C’est la réalisation de la proposition de Descartes selon laquelle les animaux ne sont rien d’autre que des machines biologiques.

Vient ensuite le témoignage de l’un des tous derniers éleveurs de dindes traditionnel.

« Les animaux malades sont plus rentables » que ceux qui sont sains.

Il compare les enfants d’aujourd’hui à des cobayes tant ils consomment désormais des animaux qui étaient malades, gavés d’antibiotiques et d’hormones de croissance, et manipulés génétiquement. Il fait le lien entre cette consommation et l’apparition/l’augmentation de maladies chez les enfants (diabète, maladies inflammatoires et auto-immunes, allergies…) et la puberté de plus en plus précoce chez les filles.

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Boeuf traité aux hormones de croissance pour produire plus de viande
Image : http://elevageindustradit.blogspot.fr/p/utilisation-dhormones.html

INFLUENCE / MUTISME

Dans ce chapitre, Jonathan Safran Foer aborde les autres points plus que discutables de l’élevage industriel.

Il commence par le sujet des pandémies de grippe. Celle de 1918 en particulier (20 millions de morts en 2 ans – un record).
Puis il fait le lien avec les animaux, en particulier avec les volailles, car les souches de grippes touchent à chaque fois les animaux avant de muter et de se transmettre aux humains (H5N1, SRAS, H1N1…).

S’en suivent quelques infos sur les conditions sanitaires dans l’élevage et ce qui se trouve dans la viande que nous consommons :

  • +95% de contamination au E.Coli (contamination fécale)
  • 70 à 90% de porteurs d’agents pathogènes mortels : les Campylobacter
  • 8% de salmonelle

L’administration automatique d’antibiotiques en prévention est responsable du développement d’agents pathogènes résistants. Le lobby de l’élevage, allié au lobby pharmaceutique, est plus puissant que les professionnels de la santé publique.

À savoir également que l’absence de goûts des poulets, qui sont difformes, malades, drogués, est palliée par le gavage ou l’injection de « bouillies » pour leur donner du goût !

Le personnel des abattoirs reste un an ou moins tellement les conditions sont dures. Ce sont très souvent des personnes en situation précaire, des étrangers… Il y a violation des droits humains (conditions de travail, dangerosité, gestes répétitifs…) et les salaires sont bas.

Mais entre un régime incluant des produits carnés et un régime végétarien, voire végétalien, lequel est le plus sain ?

L’ADA confirme que :

« un régime végétalien bien conçu est bénéfique pour tout individu à tous les âges de son existence, y compris pendant la grossesse, l’allaitement, la petite enfance, l’enfance et l’adolescence, ainsi que pour les athlètes. » p189

Elle stipule également que :

« les régimes végétariens sont associés à un certain nombre de bienfaits pour la santé ».

Ainsi, non seulement tous les nutriments nécessaires se trouvent aisément dans les végétaux, mais il est crucial de savoir que la consommation de produits animaux favorise le cholestérol, les problèmes cardio-vasculaires, l’ostéoporose, le diabète, le cancer, l’obésité…

Pourquoi ces informations ne nous parviennent-elles pas ?
Les gouvernements sont à la solde des lobbys de l’agro-alimentaire. L’USDA aux USA, le PNNS en France, incitent à la consommation par de petits messages présentés comme à caractère nutritionnel, apposés sur les emballages des aliments, ou apparaissant dans des spots publicitaires. Il y a un conflit d’intérêt évident.

TRANCHES DE PARADIS / TAS DE MERDE
Jonathan Safran Foer continue son enquête par la visite d’un abattoir, puis d’un élevage, aux méthodes plus « respectueuses » du bien-être animal (rien n’est automatisé, évitement du stress…). Malgré cela, il ressent un malaise et note des incohérences dans ce qu’il voit et entend lors des discussions. Il a également conscience que ces établissements ne représentent de toutes façons qu’une part infime de l’élevage.

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On apprend que les désagréments et la pollution sont très fréquents à proximité des élevages.
L’énorme volume des déjections de porcs, par exemple, n’est pas traité. En raison des conditions d’élevage déjà évoquées, les déjections contiennent, en plus de nombreux agents pathogènes, des substances toxiques (nitrates, méthane, ammoniaque, métaux lourds, etc.). Les populations des alentours souffrent d’avantage d’asthme, de problèmes neurologiques, de brûlures pulmonaires… La valeur de l’immobilier s’en trouve également dégradée.
La terre et les cours d’eau sont pollués. Il y a hécatombes d’animaux, surtout des poissons.
On connait en France ce type de problèmes avec les algues vertes toxiques sur les plages de Bretagne à cause de l’élevage intensif de porcs.

Les enquêtes clandestines d’associations dans de nombreux élevages et abattoirs ont révélé que les comportements cruels, voire sadiques, étaient légions.
La violence est également « prévue » et banalisée par souci de productivité et de rentabilité.
Les truies sont maintenues en permanence en état de gestation et totalement entravées dans des stalles.

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Image : L214

Les porcelets sont mutilés sans anesthésie dès la naissance (castration, coupage de la queue, arrachage des dents…). Puis ils vivent une vie courte et misérable avant d’être abattus. De nombreux porcelets naissent difformes. Ceux qui ne grandissent pas assez vite se font exploser la tête cotre le sol bétonné, car ils ne sont pas rentables.

L’aquaculture, bien que différente, produit le même type de problèmes : saleté, maladies, souffrance, cannibalisme, mort sans étourdissement…
La pêche moderne, avec ses méthodes de prises massives pose un autre problème de taille : les quantités pêchées sont énormes, et une grande partie de ce qui est remonté est considéré comme des prises accessoires. Autant d’animaux morts pour rien, un immense gâchis, une réduction de la biodiversité et des écosystèmes. C’est comparable au fait de raser toute une forêt pour n’attraper qu’un seul lapin.
Ces prises sont composées de poissons, qui doivent subir une mort lente et douloureuse (écrasés, asphyxiés, les yeux éjectés de leurs orbites et les organes littéralement vomis à cause de la décompression), mais aussi de tortues, de mammifères (comme les dauphins) et d’oiseaux qui se prennent dans ces filets géants.

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Passons sur le chapitre JE SAIS (composé de témoignages) pour nous concentrer sur le dernier chapitre du livre, intitulé HISTOIRES.

L’auteur ne trouve aucun argument rationnel en faveur de la consommation de viande.
L’évolution probable sur le plan mondial dessine un monde avec de plus en plus de personnes souffrant de famine et de plus en plus de personnes mangeant beaucoup de viande et devenant obèses. Il y a un réel souci de partage des ressources alimentaires (si l’on donnait les végétaux aux humains au lieu de nourrir du bétail avec, la Terre pourrait nourrir jusqu’à 12 milliards d’être humains).

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« C’est dans nos assiettes que se trouve l’une des plus grandes chances de vivre selon nos valeurs – ou de les trahir. » p318

Jonathan Safran Foer s’interroge sur le fait que sa propre décision soit la meilleure pour tous, mais rappelle qu’une fois informé(e), c’est à chacun de prendre ses responsabilités et de devenir acteur de sa vie.

Manger est un acte social, le simple fait de manger végétarien influence autour de soi, tout comme les gens sont influencés par les pubs ou par ce que consomment les personnages de films. Nous ne sommes pas si impuissants que ça.

Critiques :
Les seuls points qui m’ont personnellement gênée dans ce livre très bien documenté sont les suivants :

  • Le style m’a semblé décousu et un même point est souvent traité dans plusieurs chapitres différents.
  • L’auteur accorde du crédit au mythe selon lequel Hitler aurait été végétarien – ce qui est faux, mais quand bien même en quoi cela serait-il pertinent ?
  • Jonathan Safran Foer parle de traiter les animaux « de façon humaine », comme si cela avait un sens. Même en diminuant les violences, il en reste toujours beaucoup et il l’a constaté lui-même. Sans parler de la mort (ce qui n’est pas négligeable -hum hum).
    Il a tendance à promouvoir le welfarisme, bien qu’il soit végétarien.
    Il positionne également le débat au niveau du choix personnel et non au niveau politique (peut-être pour ne pas heurter et braquer le lecteur).
  • Enfin, ce livre concerne majoritairement la situation aux États-Unis. Mais il ne faut pas se leurrer, la situation en France est quasiment identique.

En conclusion…

C’est un excellent livre, une référence à ne pas manquer. Vous aurez une vision d’ensemble des problématiques liées à l’élevage industriel et à la consommation de produits d’origine animale.
Il semble évident que Jonathan Safran Foer s’est beaucoup investi pour cette longue enquête, par seulement en termes de temps et de travail mais aussi en terme de questionnement personnel et d’ouverture d’esprit.
Suite à la lecture de ce livre, on a bel et bien les éléments nécessaires pour trouver librement la réponse à la question posée en titre du livre.

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9 commentaires

    • On pourrait faire un billet entier, non même plusieurs sur le sujet des religions !
      Pas que je méprise les croyants mais les religions sont utilisées pour causer bien du mal et le faire paraître justifié malheureusement.
      Et le libre arbitre est justement mis à mal à partir du moment où l’on accepte de déléguer ses choix à une entité supérieure ou à un livre…

      Je vais aller voir votre article mais je sens qu’il ne va pas me plaire !

      J’aime

  1. Ah oui je l’avais lu il y a qq années celui la. C’est effrayant, n’est-ce pas? Moi je ne suis pas végétarienne mais je veux manger raisonnablement et raisonné. C’est a dire qu’on ne mange pas de viande plus de deux fois par semaine a la maison et que ca me fera moins mal de manger de la viande qui vient du tout petit fermier qui produit habituellement que pour sa propre conso que de prendre de l’industriel. C’est pareil pour les fruits et légumes. L’agriculture non raisonnée fait tout aussi peur (voir le document : la mort est dans le pré)

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